L’éternelle ritournelle d’Alpine pour être le Porsche français ne date pas d’aujourd’hui. Voilà déjà plusieurs décennies que Renault cherche la recette de cette formule secrète. Après la prise de contrôle d’Alpine par l’ex-Régie Nationale, le constructeur au losange est seul aux commandes. La première pierre de ce renouveau passe par une montée en gamme et donc de s’attaquer à temps complet à Porsche. Le premier rejeton de ce nouveau projet prend la forme de l’Alpine GTA (alors que son vrai patronyme est V6 GT). Disponible en V6 atmosphérique, cette dernière est rapidement rejointe par la version qui doit faire trembler Porsche, la GT V6 Turbo, ou plutôt V6 GT Turbo. Mais ici, on se concentre sur la « classique » V6 atmosphérique.
Et si la fable de la Grenouille et du Bœuf résumait l’Alpine GTA V6 ?
Il y a quelques années (déjà), je décrivais l’Alpine GTA comme un soufflé : l’attente était grande et la déception fut immense (l’article est dispo chez Les Alpinistes). Voilà, je viens de vous résumer la carrière de la GTA, vous pouvez reprendre une activité normale. Fort heureusement, si la version V6 déçoit les amateurs de GT un brin sportifs, la version à moteur V6 Turbo tient ses promesses. Toutefois, la conception de la sportive de Dieppe se fait à l’économie, comme si Renault voulait éviter de trop investir, au cas où la voiture fait un bide. Dommage, car entre les petites économies de conception et une image sportive qui patine, la GTA ne rencontre pas le succès espéré. Retour sur un si bel échec.
Tout d’abord, la Renault-Alpine V6 GT est la première voiture de Dieppe conçue à 100 % en interne par Renault. La voiture, qui désigne Grand Tourisme Alpine, apparaît en 1984 avant d’être rejointe par la V6 GTA l’année suivante, avec comme volonté d’être plus haut de gamme et de combattre la Porsche 944. La carrière de notre V6 GT démarre mal : du museau à son coffre, le logo Renault s’affiche de partout, comme si le losange voulait prouver quelque chose. Le logo Alpine s’affiche sur le moyeu du volant et en tout petit sur la malle de coffre avec : Renault-Alpine. Cette profusion de losange sur la GT n’a que pour but d’afficher que Renault est désormais aux commandes et qu’il dirige la marque sportive. Mais nous allons y revenir…
Mais alors… V6 GT ou GTA ?!
La carrière de la Renault-Alpine V6 GT démarre durant le Salon de Genève 1984. Et là, c’est le drame : le public s’attend à découvrir la version V6 turbocompressée mais seule la V6 GT à moteur atmosphérique se présente. On parle littéralement d’un lancement à deux vitesses qui va ternir la carrière de la GTA. En effet, quelques semaines avant son officialisation, les rumeurs annoncent une version turbo du V6 pour aller chercher Porsche, tout le monde salive et… bah non. Suite à « l’échec » de la présentation, Alpine invite des clients à venir essayer la GTA sur le circuit privé Pioneer près de Paris. La commercialisation démarre début 1985.
Cependant, on peut parler d’un véritable sabotage pour le lancement de la GT française. La V6 GT n’est pas vraiment une Alpine mais une Renault-Alpine (!), la GTA n’affichant presqu’aucun A fléché. Voilà là une erreur grave que Renault va payer très cher. Même si le logo Renault était déjà présent sur l’A310, toute trace extérieur d’Alpine est supprimée sur la GTA. Il faudra attendre la série limitée Mille Miles pour que le A fléché fasse son apparition. Il est trop tard et l’accident industriel a déjà eu lieu. Enfin, l’explication concernant son patronyme est simple : en France, la Renault-Alpine se nomme V6 GT mais au Royaume-Uni, les droits du nom d’Alpine sont détenus par Sunbeam puis Talbot. Du coup, le coupé est rebaptisé… Renault GTA.
La GTA, une nouvelle ère pour Alpine
Avec l’arrivée de la GTA et de la V6 GT, Renault se débarrasse de l’empreinte de Jean Redélé (sans non plus tout foutre à la benne). Place à moins de « sportivité » façon berlinette, et place à une nouvelle philosophie qui se veut sportive, luxueuse et grand tourisme. Oui, je viens de dire sportive mais moins radicale que par le passé. Le développement de la GT française se fait dans des conditions compliquées avec une enveloppe financière très serrée. Renault impose à Alpine de se fournir davantage dans la banque d’organes maison pour faire des économies. Pour faire plaisir à Renault, Alpine ne retient qu’un seul bloc moteur : le V6 PRV. Le fameux V6, développé en alliance par Peugeot, Renault et Volvo, s’installe sous le capot de la Dieppoise. La marque va proposer deux versions : atmosphérique et Turbo.
Pour séduire un maximum de client, le dessin de la GTA est co-developpé par Heuliez et par l’équipe du BEREX (Centre d’étude Alpine-Renault), avant d’être totalement finalisé par ce dernier. Les équipes travaillent ardemment sur une recherche aérodynamique avec une vraie chasse aux kilos, qui permettent à la GT d’afficher une ligne svelte avec 1 140 kg sur la balance. Enfin… presque, car la petite nouvelle affiche une prise de masse de 122 kilos, comparée à l’A310. Pour le reste, l’aérodynamique est soigné avec un coefficient de 0,28 (identique avec son aînée), la différence se fait sur le sCX de 0,48 pour la GTA, contre 0,49 pour l’A310. Il ne s’agit ni plus ni moins d’un record mondial à la sortie de la GT. Dès le début de sa conception, l’aérodynamique est une priorité. La voiture est ainsi l’une des premières à bénéficier de simulations via ordinateurs et d’essais en soufflerie, menant à des choix des plus radicaux…
Car pour le reste, les fondamentaux d’Alpine sont conservés avec la carrosserie en polyester non plus moulée d’un seul élément (comme sur l’A310) mais en plusieurs, assemblés par collage. Le châssis poutre en acier est scellé à la structure monocoque stratifiée, reconnue pour son excellente étanchéité. Les ingénieurs du Berex planchent aussi sur l’amincissement du tout-à-l’arrière afin de diminuer l’imposant porte-à-faux arrière de l’A310. Ce dernier influe directement sur le comportement routier de la sportive. Ça ne paraît pas évident sur la GTA, mais le travail réalisé est un véritable exploit. Elle affiche un profil équilibré avec un châssis rallongé au niveau de l’empattement (entre les roues) et de voies désormais augmentées pour plus de stabilité.
Une ligne futuriste menée par la soufflerie
On l’a dit, le dessin de la sportive est signé par les équipes d’Heuliez et du Berex avec à leur tête Gérard Godfroi, pour le premier, et Yves Legal, pour le second. Le design de la GTA, gelé à partir de 1983, est guidé par les tests en soufflerie, en la transformant en voiture d’ingénieurs. La GTA n’est pas qu’une simple évolution du design de l’A310, elle en reprend le dessin en l’améliorant. Le design se veut plus dynamique avec la présence d’éléments plus forts que sur l’A310. Les lignes carrées et acérées de la précédente Alpine sont balayées pour une certaine douceur. Tout le design est une invitation aux formes fluides et douces, mais dont les détails se font plus sportifs, à commencer par le pare-brise incliné à 67 degrés, les feux tout aussi inclinés et sous bulles, l’absence de calandre remplacée par un museau qui fend l’air et l’immense surface vitré latérale.
On s’aperçoit que la nouvelle Alpine reprend les codes du design de la nouvelle gamme Renault de ce milieu des années 1980. L’avant se singularise des autres Alpine avec un nez façon Renault Espace. Gros point faible de la précédente berlinette, la visibilité arrière gagne en… clarté grâce à un vitrage enveloppant le montant C façon bulle (comme sur la 25 ou… la 309). D’ailleurs, en parlant du vitrage, ce dernier est affleurant avec des joints réduits au maximum, tout comme les poignées dites affleurantes. L’arrière, plus discret, se signale par ses deux sorties d’échappement et sa grille d’aération. Le style de la GTA se fait fluide et moderne. Malheureusement, les premières critiques lui reprochent son design trop peu dynamique.
L’Alpine reste sur l’implantation du tout-à-l’arrière en positionnant son V6 en position longitudinale arrière. Le V6 PRV, qu’il soit en atmosphérique ou doté d’un turbo, respire grâce à un impressionnant travail des flux d’airs. Ces derniers sont canalisés vers l’arrière, et l’arrivée d’air passe par une grille placée dans le spoiler entre les feux, sous l’aileron, mais aussi au-dessus de celui-ci. L’extraction se fait au niveau de la troisième vitre latérale, s’inscrivant de manière discrète dans le contour du vitrage.
La Grenouille de Dieppe et le Bœuf de Stuttgart
Alors que notre Dieppoise vise les Porsche et leur construction unique, la française pioche allègrement (par obligation) dans la banque d’organe Renault. La grenouille Française doit être aussi grosse que le bœuf allemand, avec des dessous qui proviennent de toute la gamme du constructeur au losange. Le train avant et les suspensions avec les bras supérieurs et les triangles inférieurs en tôles embouties dérivent de la R25. Le train arrière, qui équipait l’A310 V6 mais aussi la R5 turbo 2, reprend du service, au même titre que le freinage, assuré par quatre disques ventilés de la berlinette. Le recyclage de l’A310 V6 s’arrête ici, puisque la direction à crémaillère émane de la Renault Fuego.
À l’arrière, Alpine installe le V6 PRV atmosphérique équipé d’un carburateur Solex simple corps de 2,7l développant 160ch à 5 750 tr/min. Ce dernier n’est pas un inconnu puisqu’il équipe déjà l’Alpine A310 V6 mais aux performances moindres (150ch à 6 000 tr/min), un gain de 10ch qui ne fait pas vraiment le poids face à la Porsche 944 et ses 163ch dotés de l’injection électronique. Alpine, ou plutôt Renault, conserve l’injection par air. Fort heureusement, la V6 GT annonce une vitesse max de 235 km/h et un 0 à 100 km/h expédié en 8,5 secondes. Le DA sur un kilomètre est avalé en 28,5 secondes. De toute manière, la GTA n’est pas une pure sportive mais plutôt un coupé à l’esprit grand tourisme.
La transmission passe par une boîte 5 rapports, encore issue de l’A310 V6, bénéficiant d’un embrayage renforcé, dans le but d’estomper le comportement de la masse à l’arrière. Le comportement de la GTA V6 se montre plus serein et moins piégeur que l’A310. L’histoire retiendra que la monte d’origine a offert quelques surprises à ses propriétaires avec une tenue de route aléatoire, vite rectifiée par le constructeur. Il restait le choix pour les autres d’y poser les jantes de la Turbo, plus larges, qui assurent une meilleure stabilité.
Elle a pourtant des qualités !
Du côté du rapport qualité/prix, la GT française en donne pour son argent. Les performances sont là et le prix est plutôt bien placé avec ticket à 175 000 F (51 637 € actuels), un tarif séduisant face à sa rivale germanique, moins performante et surtout bien plus cher ! Côté habitabilité, la voiture se montre sacrément habitable. La GT se veut confortable, ergonomique et spacieuse. Un sans fautes, sauf si on ferme les yeux face à la qualité de finition médiocre et indigne de la part d’une Alpine, aussi haut de gamme soit-elle.
À l’intérieur, c’est Marcello Gandini qui s’y colle, même si on parle de Piero Stroppa. Dès sa sortie, le mobilier divise. On lui reproche son côté trop sombre et surtout trop daté. Alors, que dire concernant la sellerie fragile, rugueuse et moche vieillotte ? Que la plupart des clients ont choisi en option la sellerie en cuir et en velours ? Hélas, sous le capot, le bloc ne se montre pas vraiment à la hauteur. Plusieurs modifications vont être apportées pour le rendre plus performant, mais rien n’y fait et la voiture gagne en souplesse dans un pur esprit Grand Tourisme au lieu de devenir plus sportive. Malheureusement, à la peine avec la concurrence de version turbocompressée, la concurrence ne se repose pas non plus sur ses lauriers et la Porsche 911 se renouvelle en étant plus puissante et sportive. La pauvre V6 GT, alias GTA, s’éteint en 1991 avec l’arrivée de l’A610 après seulement 1 509 exemplaires…
Pleine de qualité, l’Alpine V6 GT permet comme la Lotus Elan M100 de mettre un premier pied dans l’univers Alpine à peu de frais. La GT n’a pas à rougir avec ses qualités routières et son esprit grand tourisme lui permettant d’être moins radicale que les autres modèles. Voilà donc une voiture qui mérite qu’on s’y intéresse et qu’on la redécouvre. Voulant être un nouveau chapitre dans l’histoire de la marque, la GTA ne sera qu’un paragraphe dans la légende… « La Grenouille qui se prenait pour un bœuf s’enfla si bien qu’elle creva. » ⏤ Jean de la Fontaine.
L’Avis des Cylindres :
Que surveiller ? Tout d’abord l’entretien. Les pièces mécaniques peuvent voir leur prix s’envoler selon l’urgence (et surtout selon le CT). Ensuite, si un modèle vous fait de l’oeil il faut bien vérifier l’état de la carrosserie surtout au niveau des joints et des collages. Si une opération doit avoir lieu elle peut rapidement coûter un bras et demander l’intervention d’un spécialiste. Il faut également vérifier l’état du refroidissement du bloc moteur. Certains durites rendent l’âme avec la chaleur très intense si le refroidissement ne se fait pas correctement. N’oubliez pas que l’accès à la baie moteur est plutôt compliqué. De plus, le changement des pneumatiques coute aussi un bras.
Le bloc plutôt fiable n’a pas peur de monter à plus de 150 000 kilomètres. Si le bloc est plutôt endurant, ce n’est pas forcément le cas du système électriques qui connait quelques… ratés. Lors d’un essai routier, attention à la tenue de route, si la voiture ne remonte pas correctement les infos de la chaussée, c’est que le châssis poutre a bougé. Signe que la voiture a été accidenté et donc mal réparé.
Côté tarif, on en trouve à tout les prix. Pour une fois on commence avec les versions les plus rares. Une Le Mans ou une Mille Milles réclament au minimum 40 000€. Les autres V6 GT se négocient aux alentours de 15 000€ avec des frais tandis qu’un très bel exemplaire demande environ 20 à 25 000€.
Le Cylindre en + :
Pour y voir plus clair dans la production :
1984 : 191 exemplaires
1985 : 639 exemplaires
1986 : 264 exemplaires
1987 : 139 exemplaires
1988 : 164 exemplaires
1989 : 81 exemplaires
1990 : 31 exemplaires
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GALERIE
VIDEO
Via Alpine, André Leroux, Les Alpinistes, Aronline