Il suffit parfois d’un peu d’argent de frais et des idées pour faire des merveilles. Chez Aston Martin, la fin de la Seconde Guerre mondiale permet à la marque de renaître et de sortir d’un bourbier sans nom. La DB2 et la DB3 vieillissantes laissent sa place à l’Aston Martin DB4, une GT qui marque sa décennie et l’histoire de la marque. Ce bijou de technologie et de style est probablement l’une des plus belles voitures de l’histoire de l’automobile, sans exagération aucune. Une voiture née de l’amour des belles choses qui vaut aujourd’hui son pesant d’or.
A deux doigts de mettre la clé sous la porte
L’Aston Martin DB2 est née dans une période post seconde guerre mondiale. Après 10 ans de commercialisation, la marque anglaise sort les DB3 et DB3 S qui connaissent la gloire en compétition et qui permettent au constructeur de faire rentrer de l’argent frais dans les caisses. En convalescence, la marque ne peut pas décevoir et doit marquer les esprits. En octobre 1958, David Brown dévoile l’une des voitures les plus irrésistibles de toute l’histoire automobile : la DB4. Avec ce modèle de grand tourisme, comment ne pas rester insensible devant tant de courbes, de grâce et d’élégance ? Après une DB3 déjà très séduisante, la marque n’a pas le droit à l’erreur.
Ce que l’on attend d’une Aston Martin, c’est l’endurance et la puissance. Avec la DB4, la marque va oser rajouter un supplément charme. Ce bolide va devenir un fleuron du Grand Tourisme, au point d’acquérir ses lettres de noblesse en moins d’une dizaine d’années. Avec son design, la britannique ne peut être confondue avec une autre GT de son temps : au diable les italiennes, les anglaises savent aussi mêler puissance et élégance, avec un nuage de lait dans la recette. En fait, c’est assez simple : avec la nouvelle Aston DB4, la marque anglaise passe un cap. La sportive devient le symbole d’un renouveau pour sa marque et lui permet de créer l’image valorisante qui fait encore aujourd’hui sa renommée et son succès. D’ailleurs, avec la DB4, la marque britannique inaugure son nouveau site de production de Newport Pagnell, dans le comté de Buckinghamshire en Angleterre, ancienne usine Salmons & Tickfords.
Un dessin Made In Angleterre
Si la légende prête à Touring la création de cet œuvre d’art sur quatre roues, il n’en est pas moins faux. En réalité, il semble que le dessin de la GT soit dû à Harold Beach, l’un des directeurs techniques de la marque. Un dessin fabuleux est né entre une partie de Cricket et d’un thé. L’Aston Martin DB4 semble bien dans son époque avec ses traits tout en courbe, son long capot ou encore son arrière tronqué. Ce qui est sûr concernant notre anglaise, c’est que l’italien Touring à Milan a utilisé sa technique « Superleggera » pour les panneaux de carrosserie. Les éléments sont composés de panneaux en aluminium soudés l’un à l’autre, et reposent sur une armature tubulaire. Le procédé permet une grande légèreté et plus de liberté dans le dessin de la voiture.
L’Aston Martin joue la carte de l’élégance sportive avec un dessin à la fois aguicheur, fluide et élancé. La GT est une œuvre d’art d’harmonie et d’une ligne sculpturale intemporelle. La calandre signature des David Brown est toujours présente avec ses feux ronds presque innocents. Les bas de caisse se résument à une certaine simplicité, sans remous et sans impureté. L’arrière fuyant et tronqué n’est que la continuation de la ceinture de caisse. Les feux arrière sont partagés avec la DB Mark 3, provenant de l’Humber Hawk. N’oublions pas les roues à rayons Borani et nous sommes faces à l’une des plus belles GT de sa génération, voire l’une des plus belles œuvre de l’ère David Brown chez Aston. Comme toujours, les plus belles œuvres d’art n’ont qu’une route : celle de Paris. Entre le Louvre, la Tour Eiffel et les rats, l’anglaise prend son premier bain de foule durant le Salon de Paris 1958 et en Angleterre, à Londres.
Le savoir-faire anglais avant tout
Même si l’affaire du design n’est pas très claire puisque l’on concède la maternité des lignes à la Carrozzeria Touring, l’anglaise est produite sous licence avec les différentes entités du groupe David Brown. La structure et l’aluminium proviennent directement de chez Touring à Milan, en Italie, avant que les caisses soient assemblées chez Mulliner puis envoyées chez Tickford. Le montage final a lieu à Newport Pagnell, dans l’usine d’Aston Martin. Avec l’Aston DB4, le constructeur part d’une feuille blanche avec une nouvelle plate-forme, et de même pour le moteur et la carrosserie. L’intérieur démontre le savoir-faire de la marque avec un écrin de luxe fait de moquette épaisse, de cuir et de métal. On compare donc facilement la GT aux intérieurs des Rolls ⏤ il y a pire comme référence. En 1961, durant le Salon de Londres, le britannique dévoile une version cabriolet. Malheureusement, la sauce ne prend pas et il en n’existe que 70 exemplaires en tout et pour tout, une perle rare.
Pour le reste, l’irrésistible anglaise délaisse le châssis « Atom », transmis de génération en génération depuis l’Aston DB2 et ses dérivées, pour une toute nouvelle structure. Cette dernière profite d’une rigidité accrue tout en prenant inévitablement du poids. Malgré sa carrosserie tout en aluminium, la bête accuse un poids de 1 336 kg. Avec la DB4, Aston abandonne le principe du châssis dérivé de la course comme ce fut le cas pour la DB2. La nouvelle Aston entre dans l’ère des grandes GT et son châssis s’adapte à un nouveau mode de conduite plus civilisé. L’intention du constructeur anglais est bien évidement d’intégrer le confort dans sa proposition avec l’évolution des attentes des clients, à l’instar de l’arrivée de la boîte de vitesses synchronisée à 4 rapports et Overdrive, dite boite David Brown, tout comme son intérieur, évoqué quelques lignes plus haut.
Sous le capot, un moteur digne d’un Shakespeare
Sous le long capot avant de la Grand Tourisme, Aston Martin y glisse un tout nouveau bloc 6 cylindres en ligne à 12 soupapes cubant à 3,7l. Ce moteur, qui puisse son héritage de la DBR1 du Mans, est conçu en interne par Tadek Marek. Le nouveau bloc entièrement en aluminium inaugure un nouveau vilebrequin à 7 paliers avec une culasse à double arbres à cames en tête, entrainé d’une chaîne. L’architecture du moteur est très proche du six en ligne de la Jaguar XK. Extrêmement moderne, il produit une puissance impressionnante de 243ch, disponible dès 5 500 tr/min. Du délire pour l’époque !
Le bloc motopropulseur longitudinal est travaillé de manière à être ultra carré avec alésage de 92×92 mm, gavé de deux carburateurs SU HD8, permettant à l’anglaise un couple de 33,2 mkg dès 4 250 tr/min. Tous ces éléments permettent à la Grand Tourisme d’expédier le 0 à 100 km/h en 9 secondes et d’avoir en vitesse de pointe 225 km/h. Propulsion, le train arrière de l’Aston DB4 se compose d’un essieu rigide, secondé par des jambes de force et des barres de Watt. Concernant le freinage, les quatre roues se dotent de freins à disques Girling. Tous ces choix permettent à notre voiture d’offrir un rapport poids/puissance de 5,4 kg/ch. Concernant l’Aston Martin DB4 GTZ, le bloc gonfle à 314ch.
Le cas Aston Martin DB4 GT Zagato et DB 4 GT
Avec son tempérament GT plutôt que pure sportive, l’Aston Martin DB4 se prête mal à la course automobile. La déclinaison GT ne satisfait pas totalement les pilotes malgré ses modifications, jugées trop lourdes et pas assez sportives. Jim Clark et Sir Stirling Moss ne parviennent pas à contrer les Ferrari 250 GT sur piste. Pour faire une remontada sur les pistes et convaincre les pilotes, Aston Martin se tourne vers le carrossier italien Zagato, spécialiste des voitures aérodynamiques. Pour le dessin de cette version ultra sportive, c’est Ercole Spada qui s’y colle. La DB4 GTZ dérive comme son nom l’indique de la DB4… GT ! La voiture prend d’ailleurs son premier de foule sur le stand Aston lors du Salon de Londres 1960. La voiture gagne 40 kgs supplémentaires par rapport à la GT, notamment grâce à l’utilisation de vitre en Plexiglass ainsi que la carrosserie retravaillée pour gagner en fluidité et en poids. À la recherche de la légèreté, Zagato dégage les pare-chocs chromés à l’extérieur, et les feux sont désormais reculés avec une bulle en plexi et à bord. Le bois, quant à lui, disparaît.
Dans le même temps, le moteur profite d’une cure de vitamine C en développant désormais 314 chevaux, tandis que la vitesse maximale atteint les 250 km/h et le 0 à 100 est expédié en à peine 6 secondes. La beauté profite, au passage, d’un régime qui lui permet d’afficher 1 200 kg sur la balance. Malheureusement, la DB4 GTZ ne sera jamais à la hauteur face au cheval cabré et l’anglaise voit les pilotes se détourner d’elle au profit des sportives italiennes. Aston lâche l’affaire et les circuits pour se concentrer sur les voitures de luxe et les GT. La création du jeune designer ne sera produite qu’à 19 exemplaires uniquement entre 1959 et 1963 dans les ateliers Zagato, en Italie.
Bien avant l’Aston Martin DB4 GTZ, la marque sportive dévoile la version DB4 GT qui reste une première piste de réflexion autour d’une version plus sportive que Grand Tourisme. Avec ses accents de jolie minette, l’anglaise en oublie ses basiques (ou ADN) sportifs. Les clients qui apprécient les Aston sportives sont déçus de la nouvelle sportive de Newport Pagnell. Le constructeur réagit alors afin de conserver ses principaux clients amateurs de championnat Grand Tourisme. En 1959 débarque celle qui se veut redoutable avec son 6 cylindres désormais boosté à 302ch (à 6 000 tr/min) et une centaine de kilos en moins. La puissance est obtenue grâce à 3 carburateurs double-corps Weber 45mm, un taux de compression à 9:1 et un double allumage. Tout cela permet de faire un 0 à 100 en 6,1 secondes et une V/max à 245 km/h. Afin de rendre la voiture plus sportive, la masse descend à 1 240 kg. Pour rendre la voiture plus compacte, Aston coupe l’empattement du coupé de 12 cm, supprimant les places arrière, sans oublier un embrayage à double disque sec.
Pour reconnaître une DB4 GT, les phares avant reculent pour prendre place sous des bulles de verre. La suppression de la banquette arrière permet d’accroître en volume le réservoir d’essence. Ce dernier passe de 86 à 135l. On oublie donc les bagages pour le week-end, car le coffre tient plus de la boîte à gants que de la soute. Dans le but de gagner du poids, les feuilles d’aluminium sont plus fines que sur la DB4 normale. L’échec de la version GT va cependant donner naissance à un nom désormais mythique au sein de la vénérable marque anglaise, mais nous allons y revenir plus bas…
Les évolutions de la DB4
La gamme et le design évoluent rapidement puisque les premiers propriétaires font remonter des soucis de surchauffe moteur. Dès 1960 apparaît la série 2, avec des modifications afin de favoriser le refroidissement du moteur. Le volume du carter est augmenté, la pompe à huile améliorée et un nouveau radiateur d’huile est proposé en option. La carrosserie connaît elle aussi quelques modifications légères. Le coupé britannique va avoir par la suite pas moins de trois autres séries. Il semble qu’il est néanmoins très difficile de les reconnaître du fait de la personnalisation très poussée de la part des clients. La Série 3 inaugure au mois d’avril 1961 de nouveaux feux arrière à la place de ceux de la DB Mark 3. Toutefois, en 1962, Aston rallonge la voiture de 10 cm, passant de 4,48 m à 4,57 m, sans que l’empattement s’allonge. Les roues passent quant à elles de 16 à 15 pouces pour davantage de confort. Pour le millésime 1963, la calandre profite de subtiles modifications. Les derniers modèles profitent d’une nouvelle boîte automatique à 3 rapports Borg Wagner. Les séries 4 et 5 annoncent esthétiquement en quelque sorte la DB5.
La DB4 GT, qui n’a pas convaincu, est remplacée par un patronyme qui fait encore rêver aujourd’hui et qui a marqué la lignée des David Brown series : la Vantage. En 1961, le coupé prend la suite de la GT en bénéficiant de réglages spécifiques avec des soupapes élargies, un taux de compression plus élevé et de trois carburateurs SU HD8. Toutefois, la puissance tombe à 250ch mais remonte à 266ch par la suite, perdant encore 80 kg par rapport à la DB4 GT. La chose se complique : pour reconnaître les différentes versions Aston Martin DB4, il faut un œil d’expert. La plupart des Vantage reçoivent les phares carénés de la DB4 GT, sans omettre qu’en fin de carrière, la DB4 série 5 s’équipe du même moteur que la Vantage. Au final, on confond régulièrement les DB4 Vantage et les premières DB5. En 1963, l’Aston Martin disparaît après seulement 1 210 exemplaires devenant des décennies plus tard un mythe parmi les mythes.
L’Avis des Cylindres :
L’Aston Martin DB4 a marqué un nouveau départ et un tournant dans l’histoire de la marque anglaise. Une voiture grand tourisme, confortable et d’une élégance folle qui va en faire la réputation de la marque pour des décennies. Avec elle, la marque délaisse en quelques sortes les voitures de courses et s’empresse vers la production de GT luxueuses mais aussi rapides (mais pas « rapides et dangereux »). La DB5 en sera l’apothéose dès 1963.
Aujourd’hui considérée comme la pierre angulaire d’un tournant dans l’histoire de son constructeur, la DB4 se revend à des sommes désormais astronomiques. Alors, si le bon goût des cuirs et du bois sont votre dada, la licorne absolue reste la DB4 GTZ mais surtout la version cabriolet, uniquement construite à 70 exemplaires. Car question budget, l’anglaise dépasse les 100 000€…
Le Cylindre en + :
Pour y voir plus clair dans la production :
DB4 (1958-1963) : 970 coupés et 70 cabriolets
DB4 GT (1959-1963) : 75 coupés
DB4 GTZ (1959-1963) : 19 coupés
DB4 Vantage : 140 coupés
GALERIE :
BONUS : l’Aston Martin DB4 convertible (70 exemplaires)
VIDEO :
Via Aston Martin, Motorlegend, Automobile Sportive, Aronline