Dès les années 1960, Citroën fait un premier constat sur sa gamme : elle vieillit. Il faut réfléchir à un modèle polyvalent qui peut chapeauter la 2CV et qui serait plus polyvalent que la Méhari ou l’Ami 8, le tout avec des trous dans la caisse. La réponse à ce jugement n’arrivera qu’en 1978 avec la Citroën Visa.
Une idée mais pas d’argent
Heureusement, tout n’est pas mauvais : la petite 2CV se vend bien, et en 1970 arrive le chainon manquant entre la deuch’ et la grande DS : la Citroën GS. Comme toujours, la marque aux chevrons rencontre de gros problèmes financiers. Malgré l’arrivée de la compacte, les caisses ne se remplissent pas et la concurrence fait évoluer son offre plus rapidement que Citroën. En 1971, Fiat dévoile la 127 et son « tout-à-l’avant », et Renault enfonce le clou en 1972 avec la Renault 5. Entre temps, Citroën ne répond pas — pire, elle subit la concurrence de la Renault 4 et des modèles Simca et Peugeot.
Pourtant, l’entrée de gamme est fournie chez Citroën : on retrouve l’inimitable Méhari ou encore la Dyane qui n’arrive pas à remplacer la 2CV. Bien qu’elles ne soient pas révolutionnaires, les petites Citroën trouvent leur clientèle mais ne déchaîne pas les bons de commandes. De plus, la clientèle évolue et ses attentes sont grandissantes pour ne pas dire exigeantes. En 1969 apparaît la petite Ami 8 qui n’est qu’une évolution de l’Ami 6.
En 1968, Citroën et son actionnaire Michelin passent des accords aussi bien techniques que commerciaux avec Maserati, Total et Fiat pour fonder la holding Pardevi. Grâce à cet accord, Citroën se dit qu’il peut réagir face à la concurrence. En 1970, Pierre Bercot laisse sa place à Raymond Ravenel qui prend la décision de lancer le projet Y pour donner naissance à deux voitures à la fois.
Le(s) Projet(s) Y démarre(nt)
Comprenant son retard sur la concurrence, Citroën s’associe avec Fiat et développe le projet Y1. Le prototype partage de nombreux éléments en commun avec la 127, à commencer par reprendre le plancher de la citadine transalpine. Finalement, le projet tombe à l’eau et Citroën passe à la Y2.
Le projet Y2 est entièrement basé sur des pièces maison. Pour ce nouveau projet, la gamme va débuter par un moteur issu de la 2CV et le haut de gamme par celui de la GS. Le cahier des charges indique que la voiture doit avoir un hayon et un large seuil avec un chargement abaissé entre les feux pour être le plus pratique possible. Elle devait aussi être une GS en réduction tout en étant moderne, et briser les codes dans la catégorie. Dès les premiers visuels, vous allez reconnaître… l’Axel. Malheureusement, avec la conjoncture économique, le projet est à l’arrêt, la faute à la SM et aux chocs pétroliers de 1973 et 1979.
1972 : Michelin refile le bébé à Peugeot
Fin 1972, Michelin, actionnaire majoritaire, craint l’avenir avec la première crise pétrolière qui se profile. Il doute de la pérennité de la marque française qui investit beaucoup et qui n’a que peu de retour. Durant la décennie 1970, le gouffre financier est un puits sans fond. La DS prend de l’âge et le projet L qui doit la remplacer est arrêté manu militari. La Visa est le deuxième modèle conçu sous l’ère Peugeot, juste après la petite LN.
Le coup de grâce arrive en 1973 avec le premier choc pétrolier, les ventes s’effondrent et la marque aux chevrons ne peut plus faire face à ses dettes en 1974 et dépose le bilan. Michelin envisage de vendre l’intégralité de ses parts à la holding Pardevi, détenue par Fiat, mais le gouvernement français s’y oppose. Il demande donc à Peugeot d’acquérir les 90 % du capital de Citroën à Michelin qui accepte à reculons. Peugeot absorbe malgré lui Citroën en 1975 et devient le groupe PSA Peugeot-Citroën.
Faire du neuf avec du vieux
Tout nouveau projet chez Citroën est gelé, le temps a dû paraître long dans le bureau d’étude de la marque. Peugeot prend le temps de faire le point sur la situation et c’est catastrophique. Dans le même temps, Robert Opron prend la poudre d’escampette pour aller chez Renault. André Estaque prend les rênes du bureau d’études et confie le style à Jean Giret. Dès 1975, le projet Y reprend mais la direction refuse catégoriquement la voiture.
Chez Peugeot, l’on avance que Citroën n’a pas les moyens de le produire. En réalité, c’est plutôt la crainte que le projet Y fasse de l’ombre à la 104 qui est déjà plombée, principalement par la Renault 5 dont les ventes ne décollent pas. En effet, la Y2 pourrait bien finir par abattre le peu d’argument qu’il reste à la citadine du lion, la faute à un projet Y plus pratique, moderne et spacieuse. Peugeot sent le roussi et impose à Citroën d’utiliser les soubassements de la 104, ce qui donnera naissance à la Citroën LN — faute de mieux.
Le projet Y est mort, vive le projet VD
Citroën abandonne le projet Y ? Pas vraiment. Il est stoppé mais il va donner naissance au projet VD qui va devenir — je vous le donne dans le mille — la Visa. Au début de l’année 1976, Peugeot donne son accord pour le projet VD. Boris Gonzales va se pencher sur le berceau et réaliser le cahier des charges de la future petite Citroën.
Le dessin de la voiture est signé André Estaque et son équipe. Ils arrivent à concevoir un soubassement commun entre les motorisations Peugeot et le bicylindre Citroën, le tout accompagné par une boîte à 4 vitesses récupérée de la GS. Le bicylindre va recevoir une évolution de sa cylindrée poussée de 602 à 652 cm3.
Le moteur Citroën va avoir le droit à un allumage électronique, développé en collaboration avec Thomson. La Citroën Visa est la première voiture au monde à avoir un allumage électronique intégral. L’allumage est composé d’un modulateur électronique, de deux capteurs et d’une bobine électronique. Elle se passe d’une tête d’allumeur, de vis patinée et de rupteur. La puissance du moteur développe à ses débuts 36 ch. Malheureusement, le moteur va se faire une réputation d’alcoolique. La marque va l’améliorer car il a un penchant pour la consommation d’essence. La segmentation va être vite revue pour faire baisser la consommation, mais perdra 1 ch au passage.
Revenons au soubassement : l’exploit de l’équipe Citroën est de réussir à mettre sous le capot des types de moteurs. Les Peugeot sont transversales tandis que le Citroën est longitudinal. André Estaque regrette que la presse, à l’époque, parle de l’exploit technique.
Une nouvelle voiture, sans budget
Concernant le style, le projet VD va recycler le projet Y. Effectivement, sans un rond dans les caisses, Citroën va reprendre les grandes lignes du projet né à la fin des années 1960. Ça tombe bien, le châssis de la 104 est né à la fin des années 60. Il n’est pas de première jeunesse et la voiture est plus étroite que la Visa. Il faut faire du neuf avec du vieux.
Comme ce n’est pas assez compliqué, il faut trouver une solution pour le refroidissement du moteur Peugeot ET Citroën. La solution va être d’intégrer la calandre et le parechoc en un seul élément : c’est la naissance du mythique groin de la Citroën Visa. De plus, cet élément va permettre de conserver une belle ouverture afin de permettre le meilleur refroidissement possible et de ne pas être différent sur la chaîne de montage. La Citroën Visa va aussi inclure un essuie-glace central mono-balai et des portes avant à ouvrant large.
Cette innovation technique va se développer et être reprise sur de nombreux véhicules encore aujourd’hui sur lesquels le pare-chocs et la calandre ne font qu’un. Cependant, André Estaque reconnaît dès la sortie de la Visa que le style de la voiture n’est pas convaincant. On ne dira pas qu’elle n’a pas un physique facile mais… presque.
L’intérieur est inédit
Pour l’intérieur, c’est une feuille blanche. Le style est signé Michel Harmand qui a déjà réalisé l’intérieur des Citroën GS, SM et CX. Sans budget, il doit réaliser un intérieur ergonomique. Sur la gauche, toutes les commandes sont sur un seul bloc, maniable d’une seule main, sans lâcher le volant. Ce système va prendre le nom de P.R.N (Pluie, Route, Nuit). Ce bloc va se retrouver sur la GSA, la BX (phase 1) et l’Axel. Côté gauche, même principe : l’on retrouve les commandes de chauffage sans quitter les mains du volant, mais aussi la commande d’essuie-glace (Pluie), les clignotants et le klaxon (Route) et la commande de phare (Nuit).
Initialement, les compteurs devaient être partagé avec la GS et la CX. Mais suite à un changement de plan, ils seront rond et à aiguille traditionnelle. Pour gagner de l’espace à bord, les sièges avant sont étudiés pour perte, plus fins tout en offrant un maximum de confort.
La commercialisation arrive
La présentation de la petite Citroën Visa a lieu à la fin du mois d’Août 1978 et sera commercialisée dans la foulée du Salon de l’automobile de Paris en Octobre de la même année. La palette de couleur au lancement est restreinte : une harmonie de bleu, de châtaigne et un orange. Les tissus sont définis selon les moteurs : Peugeot, motif à pied de poule, les bicylindres motif à gros poids.
À sa sortie, la Citroën Visa ne va pas rencontrer le succès espéré. C’est même l’inverse : la presse l’atomise et le public la fuit, la faute à son design clivant et son groin de cochon. Dès le mois de Juillet 1980 soit deux ans après son lancement, la Citroën Visa passe sous le bistouri. La situation est désespérée au Quai de Javel : en 1979, la Visa ne s’écoule qu’à 90 000 exemplaires contre plus de 212 000 pour la Renault 5. En 1981 arrive au catalogue la Renault 5 en cinq portes. C’est la fin pour la Visa qui s’effondre dans les ventes. Quand la R5 passe la barre des 300 000 ventes, la Citroën plonge à 65 000 exemplaires. En mauvaise posture, la Citroën est même derrière la Peugeot 104, alors en fin de carrière.
Heuliez à la rescousse
Avec l’aide d’Heuliez, toute la face avant est remaquillée avec un nouveau bouclier couleur carrosserie avec spoiler, nouvelle calandre, mais aussi une nouvelle baguette de vitrage en trompe l’œil pour agrandir le vitrage. Une baguette latérale, des feux arrière plus large et intégrant toute la signalisation et un aileron de coffre terminent le style de la citadine. Elle gagne deux nouvelles versions : la Super E et Super X, pour devenir la Visa II.
La petite Citroën Visa Super E reçoit un moteur au rendement retravaillé avec plus de couple grâce à un régime plus bas. Avec sa plus petite puissance de 50 ch et sa courte boîte 5 vitesses (en option à partir du millésime 1983), la consommation officielle annonce seulement 5,1l/100 km. Dès 1981, les ventes remontent sous la barre des 85 000 ventes. Le facelift lui permet de devenir la cinquième meilleure vente, devant la GSA. En 1982, elle atteint son pic : 95 000 ventes. Dès 1983, c’est la fin : le réseau est trop occupé à vendre la nouvelle BX. Les ventes chutent à nouveau et la venue de la Peugeot 205 achève la pauvre petite Citroën.
En 1983, Heuliez tente un coup de génie : la Citroën Visa décapotable. C’est évidemment un échec, en deux ans, elle s’écoule à peine à 2600 exemplaires mais on y reviendra prochainement. En 1984, pour vider les stocks, la Visa accouche de la C15, à laquelle elle prête sa face avant et son habitacle. La même année, Citroën modifie le tableau de bord de la Visa. Il devient plus classique avec les commandes de chauffage au centre du tableau de bord.
Des éditions limitées à gogo !
Avant de conclure, on ne pouvait pas passer à côté des nombreuses séries limitées de la Visa : en Mars 1979 arrive la Carte Noire, puis la mythique Sextant en Mars 1980. Deux ans plus tard apparaît la WestEnd, puis en 1983, la Platine… jusqu’à la GT et la Leader en 1986 — des versions sympathiques à ne pas négliger.
La Citroën Visa n’est-elle pas née trop tard ? Peut-être que le fait d’avoir des caisses vides et un nouveau patron un peu pénible avec sa vieille 104 n’ont pas aidé. Le manque d’investissement et le recyclage du projet Y ont fait que le VD n’a pas séduit. En 1987, la petite Citroën Visa est en pré-retraite avec l’arrivée de la très réussie Citroën AX. La Citroën Visa disparaît des chaînes en 1988.
L’Avis des Cylindres :
Alors, que surveiller sur une Citroën Visa ? La rouille qui perfore le plancher, les ailes ou encore les soubassements. Pour le reste, les moteurs ont bien vieilli, tout comme l’intérieur. Après 1 286 172 exemplaires, dénicher une Visa n’est pas compliqué. Seules les différentes primes écolo la font disparaître petit à petit de nos routes, bien que la voiture connaît un retour inattendu dans le coeur des collectionneurs.
Côté tarif, on trouve des Visa à remettre en route pour moins de 600 € et 1 000 € pour un exemplaire avec 100 000 kilomètres. Et surprise, un très bel exemplaires groin de cochon avec moins de 50 000 kilomètres demande… 3 900 €. Même prix pour une phase 2. Les versions plus rares comme la 1000pistes ou décapotable dépassent les 10 000 € voire 40 000 € pour la sportive.
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Sources : Passion Citroën
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