Au début des années 1950, Daimler est le doyen des constructeurs anglais, ce qui ne veut pas qu’il est très diffusé et rencontre le succès — c’est plutôt l’inverse. Face à de mauvaises ventes et à des problèmes financiers, celle qui devait sauver la marque n’est nulle autre que la Daimler Dart SP250.
Une marque royale, mais pas que
Rares sont les marques qui peuvent jouir du titre prestigieux de fournisseur officiel de la Famille Royale d’Angleterre. Depuis 1901, la marque incarne les voitures de luxe qui motorisent la vieille famille d’outre-Manche. L’éternelle concurrente de la marque, excusez du peu, est Rolls-Royce. En revanche, dans le reste du monde (hors Royaume-Uni et Commonwealth), la marque est presque inconnue, laissant le champ libre à sa concurrente.
De plus, dans son propre pays, elle subit ses tarifs trop élitistes et une image de « bagnole » à l’ancienne complètement dépassée. La marque a aussi fait des choix techniques qui ne conviennent pas aux acheteurs. Alors, au début de la décennie, Bernard Docker, président de Daimler, est poussé par son épouse Lady Norah Turner pour accentuer encore plus sur l’image prestigieuse de la marque avec une nouvelle carrosserie en vogue : le roadster.
Le roadster pour sauver la vieille maison
Si le genre n’est pas nouveau, il remonte à bien des années. C’est même une tradition en Angleterre, où de nombreux constructeurs ont en fait leur spécialité. Historiquement, c’est après la Seconde Guerre mondiale que le genre va connaître son âge d’or. Les modèles vont s’exporter à travers l’Europe et les États-Unis, et populariser le genre.
Le roadster étant passé du statut de niche à segment porteur, les constructeurs britanniques s’y engouffrent pleinement. Le roadster est devenu la « poule aux œufs d’or » pour les Anglais. Malheureusement pour Daimler, le roadster n’est pas dans leur gène. L’entreprise étant plutôt habituée aux grosses berlines de luxe, leurs ventes déjà marginales s’effondrent, la marque doit réagir.
Au département de Recherche et Développement, on écoute le PDG et sa femme et on accepte l’idée que pour faire revenir les clients, il faut une voiture à l’image jeune et dynamique. Loin de l’image désuète de la gamme d’alors, on imagine que le nouveau modèle va attirer une nouvelle clientèle qui va relancer la vieille société. C’est un peu la voiture de la dernière chance avec ce modèle : il faut qu’elle soit à la fois agressive et originale pour avoir l’intérêt de la clientèle.
Le projet Daimler SP250 : une feuille blanche
Chez Daimler, on part d’une feuille blanche aussi bien sur le plan mécanique que sur le plan esthétique. Au-dessus du berceau de la Daimler Dart SP250 va se pencher un certain Edward Turner. Ce dernier a une belle réputation dans le monde de la moto et a travaillé sur la lignée des moteurs bicylindres à culbuteurs qui équipent les Birmingham Small Arms et Triumph. Pour une future ligne de modèle à vocation sportive, Turner ne veut pas des moteurs 6 cylindres que produit actuellement la marque. Il les juge trop anciens et archaïques.
Chez Daimler, on est aussi agacé par le succès de la Jaguar XK120. La marque britannique se dit qu’il existe une demande et qu’elle peut attaquer l’animal de Coventry. Turner défend son projet, sûr que la nouvelle direction va le suivre. La marque réfléchit à acheter la licence de la Panhard Dyna pour produire sous le label Daimler et la vendre à moindres frais aux États-Unis. Pas réellement rentable, le projet est rapidement abandonné. En interne, le moral de la marque est au plus bas. Bernard Docker vient d’être limogé et les caisses sont vides à cause de son style de vie.
En 1956 arrive à la tête de la marque Jack Sangster. L’homme veut faire bouger les choses chez Daimler. Dès avril 1958, Turner annonce le moteur qui animera le futur modèle de la marque et en premier lieu de la Daimler Dart SP250. Il s’agit d’un V8 de 2,5 l avec une distribution à arbre à cames central. Le moteur va être testé sur la berline Conquest et accompagné par une boîte de vitesse automatique. Les tests vont être menés tambour battant, car la nouvelle direction veut que la voiture soit en concession dès 1959.
Un lancement urgent avec une voiture pas aboutie
Devant les délais serrés comme un café noir, la marque renonce à la carrosserie en acier voire en aluminium. Il y a premièrement un souci financier : l’investissement n’en vaut pas la chandelle avec un possible retard de livraison pour les machines. La marque va faire un choix des plus déroutants et inattendu : une carrosserie en fibre de verre.
L’un des premiers modèles à utiliser la fibre de verre est la Chevrolet Corvette, en 1953. Mais la Daimler Dart SP250 va être la première à l’employer pour toute la carrosserie. D’ailleurs, autre innovation pour la Dart, c’est que la carrosserie n’est qu’en un seul morceau, sans élément de renforts. La carrosserie est composée de quatre éléments seulement : les ailes, la calandre, le soubassement et le plancher. Ce dernier intègre les passages de roues arrière, le fond de coffre, le tablier et le tunnel de transmission. Les seules parties démontables sont, sans surprise, les portières, les capots et la malle de coffre.
Le roadster Daimler a pour cible le marché américain, où la concurrence rencontre le succès. C’est là-bas que la présentation officielle a lieu, durant le salon automobile de New York en Avril 1959. Pour la petite histoire, « Dart » signifie fléchettes. D’ailleurs, les grands cadres de Chrysler ont fait la tête en la voyant non pas à cause de son design, mais à cause… du nom. Dodge, qui fait partie du groupe Chrysler, est possesseur du nom Dart. Dodge lance en 1960 une berline du nom de Dart. En urgence, Daimler modifie le nom du roadster. Désormais, le nom officiel est SP250, comme le nom du projet (SP désignant le mot Sport et 250 pour la cylindrée du moteur).
Un accueil… mitigé pour la Daimler SP250
Que ce soit à Londres où a eu lieu l’avant-première européenne ou à New York, le public est… perplexe. Les spectateurs ont dû halluciner en voyant le petit roadster avec sa ligne avant-gardiste face au style des autos conservatrices garé au Birmingham Palace. La voiture va hériter de la part de ses détracteurs du sobriquet de mérou.
Le dessin de la voiture est signé Jack Wickes et Percy Mc Nally, qui n’ont pas eu de mémo sur le cahier des charges ni de consignes particulières concernant le dessin de la SP250. Ils ont carte blanche, car tous les moyens sont bons pour sauver la vieille maison britannique. Il faut alors surprendre le public, quitte à être dans l’exagération esthétique.
Dieu merci, le moteur attire les connaisseurs avec des caractéristiques intéressantes comme la distribution inspirée du monde de la moto ou encore la combustion hémisphérique. Le moteur est à la fois compact et léger, tout en promettant de belles performances. La Daimler SP250 a un bon argument : son poids plume de seulement 948 kg. Pour la boîte, c’est plus classique : avec seulement une boîte manuelle à 4 rapports ou une boîte automatique (principalement pour le marché américain) et en option l’overdrive. Le freinage est moderne pour l’époque avec l’adoption d’un système de disques sur les quatre roues.
Une voiture performante, mais chère
La Daimler SP250 n’est pas juste un look, c’est aussi de belles performances. Avec une vitesse de pointe à 200 km/h et un 0 à 100 expédié en 9,3 sec, la presse salue sur la souplesse du moteur et sa consommation modérée. L’anglaise n’est pas aidée par son physique et ne s’affiche pas à bon prix. Elle est plus chère que le reste de la concurrence anglaise, bien que la Mercedes 190 soit un peu plus chère. Tradition Daimler, la liste d’options est longue comme le bras. Le positionnement élitiste de la marque anglaise pousse le marketing à mettre le chauffage en option, comme les roadster d’entrée de gamme. Pour le reste, on retrouve le couvre tonneau, le hard-top, la colonne de direction réglable en profondeur et même les roues à rayons.
Si le chauffage en option vous surprend, sachez que la marque a aussi proposé les pare-chocs optionnels. De base, la Daimler SP250 n’est équipée que de simples crosses en chrome. Les pare-chocs sont principalement vendus aux États-Unis. L’avis de la presse est unanime : les pare-chocs ne servent à rien. Il était courant après-guerre d’avoir des voitures dépourvues de pare-chocs. Principalement vendues à l’export, les frais de douane des voitures étaient réduits selon le pays.
Cependant, la presse va tirer à balle réelle sur la finition plus que décevante et critique même la direction. Elle s’avère trop lourde à l’arrêt, manque véritablement de précision à vitesse élevée, et la rigidité de la caisse est aux abonnés absents.
Une voiture pas au point
Face aux soucis de direction et de structure, certains concessionnaires de la marque demandent à ce que la direction soit revue. La rigidité doit être aussi retravaillée, car certains clients font remonter que les portières s’ouvrent dans les virages. La mécanique très aboutie ne connaîtra pas de modifications — il faut dire qu’entre temps, Jaguar met la main sur la marque.
Le groupe BSA, acculé par les pertes de Daimler, vend la marque au voisin Jaguar. William Lyons, fondateur de la marque au félin, voit l’opportunité de s’agrandir. En clair, Lyons se moque royalement des modèles de la vieille marque d’aristocrate anglaise. Lui souhaite les murs, n’arrivant plus à suivre dans les commandes de ses propres modèles. La capacité de Daimler lui permet de satisfaire la demande venue des États-Unis.
En 1961, la Daimler SP250 série A laisse sa place à la série 2. Cette dernière gagne une caisse plus épaisse et à la structure rigidifiée. Sous les portières, des renforts sont fixés au châssis. En 1963, pour sa dernière année de carrière, la SP250 reçoit encore une modification. La série C ne se différencie que par l’allume-cigare et des options de confort.
Jaguar cause la mort de Daimler
La Daimler SP250 va avoir une carrière plutôt courte voire volontairement écourtée. Il faut dire que la presse et le public vont la bouder des deux côtés de l’Atlantique. Les ventes sont très en deçà des prévisions. Sa seule gloire est de motoriser les premières brigades autoroutières de sa Majesté. Le roadster est arrêté en 1964. Quelques années plus tard, la marque Daimler devient une simple finition haut de gamme.
L’Avis des Cylindres :
Avec son histoire atypique, la Daimler SP250 est la dernière voiture entièrement développée par la marque. En 1960 avec son intégration dans le groupe Jaguar, Daimler a périclité et purement et simplement disparu. Rare, le roadster devait être produit à 3 000 exemplaires par an. Finalement, sur 5 ans de carrière, seuls 2 654 exemplaires sont produits, ce qui explique le prix en occasion : à partir de 44 500 € et même 80 000 € pour les exemplaires les plus rares et richement équipés.